La viée sorcière de Cokibu

Auteur :

Marie Watrin (29/01/1896-09/11/1979 Charency-Vezin fr)

sources : texte patois : Publivire                                                                                                                     
traduction : JM Hansen

Ve n’ralèz-m’ enlà, bin sùr ? Qu’èle dit la Marie-Jâne, v’alèz co r’bware ène goute de qwâch’ êt r’mîji ène vaute. Et mi, j’va v’racontây ène istoire :
V’avéz bin counu la grande Zâbeth de Cokibu, la Zâbeth don Colâs èl Brômouni. Ele atout lâde êt maline, maline pire qu’ène gale.
Quand êle passout, lès gens dijint :
«R’wâtéz la ! i n’li manque que dès coûnes, on dérout l’diâbe !»
On dijout qu èle atout sorcière. Ele signout lès afants pou la mayète êt l’ câro, mâs on r’sougnout de passér d’vat s’n’ uche.
Ele en envoulout à moût à toute la ruâye de Cokibu èt co à çous d’Sous l’Oûrme êt d’ Saint-Cuny. I gn’avout l’père la Bounète èt s’frère, èl Môssieù qu’avint dit qu’ êle n’atout qu’ ène viée trich’mande, ène viée maline bîte, ène viée bourique, ène viée sokète. I gn’avout l’père Racâyon qu’avout dit qu’ êle alout au «sabbat» à chevau su in ramon (èle atout d’Alondri, don pays dès sorcières). I gn’ avout co l’vieù Sâssa, l’sacristin, qu’on ap’lout «èl Bon Dieu », pac’qu’il atout toujous das lès églises. C’tî-1à, quand i ramoûnout in fagot don bos, i lî dijout pou regoulây : « C’ést pou t’brûlay su la place don vilaje, in d’cès jous, hé ! saprâye viée sorcière !».
I gn’ avout la grosse Torine, qui lî avout campoûssây sès oûyes. Mâs l’pire, c’ atout la Frasie êt l’Batisse, qui réstint das la mâjon d’a coutâye. La Zâbeth crwayout qui bayint âque à sès poûyes pou qu’ êles alint ponre chû zous. Çà c’atout l’rèsse !
La Zâbeth atout tout l’ta en roûgne après çous-là. Ele atout qu’ èle grougnout toute seûle après zous, coume in lâd pouchî. Ele dijout « j’voûrous qu’i crevint d’ fé tourtous, lès niches varats ! qué mau que j’sarous bin loû fâre ? J’n’os’rous-m’ foute èl fû à loû mâjon, pac’que cèle-cite brûl’rout ètou èt lès gendarmes me rafroum’rint co. »
Tout d’in côw, êle se dit : « j’â ène boune idâye : je loû-z-y avoûyrâ dès rats. I loû z-y mîj’rant loûs crombires, loû lârd, loû sayin, loûs pouyans, êt l’grî, êt l’swâle êt l’avône. I n’loû-z-y lâyrant rin don tout, i n’ ârant pus rin à mîji, pus rin das l’vate, pus rin su l’dos, i venrant pauves coume dès rats d’église èt mi, j’arâ mout d’plâji ! Mâs coumat qu’c’èst djà qu’on fât ? Coumat qu’c’èst qu’on dit ? Je séy pus bin à c’t’oure. Jé séy bin qu’on dit : « Ratons, ratons …… » èt pis faut ècrire âque su dès bouts d’papi. J’vas viv’mat quèri mès lives de nware magie èl Petit Albert èt l’ Grand Albert èt tous lès «Albert» !»
V’la qu’èle va pou r’wâti su sès lives, qu’atint su ène plîche, pad’zous l’escayi de s’guerni. Ah ! non di zo ! Lès rats lî avint bin mîgi lès dites bouquins ! L’afaire atout ratâye, coume on dit. Ele atout si fâchîte qu èle en-è mouri d’la rate, la pauve gens !
– Tâjéz-v, hé Marie-Jâne, aveu vos istoires de ratons èt d’ rate ! Vè m’bayrins bin la rate, à mi ètou, rin qu’oyi vos sot’ries. Vé pouvéz bin me r’bayi ène goute de blosse, à c’t’oure, aveu don nwar cafè pou m’remète d’ aplomb su mès pates. J’n’îme mi la nwar magie, mi, mâs j’îme bin l’nwar cafè.

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La vieille sorcière de Cokibu

Vous n’allez pas repartir comme ça bien sûr ? dit Marie-Jeanne, vous reboirez bien une goutte de quetsche et reprendrez bien une crèpe. Et moi, je vais vous raconter une histoire.
Vous avez bien connu la grande Zabette de Cokibu, la Zabette du Colas le Ronchonneur ? Elle était laide et maligne, plus mauvaise qu’une gale.
A son passage les gens disaient : ” Regardez-la, il ne lui manque que les cornes et on dirait le diable !”. Elle signait les enfants pour les conjonctivites et les maux de ventre mais on craignait de passer devant sa porte. Elle en voulait à mort à tout le quartier de Cokibu mais aussi à ceux de “Sous-l’Orme” et de “Saint-Cuny”. Il y avait le père “la Bounète” et son frère, “le Monsieur” qui avaient dit qu’elle n’était qu’une vieille malpropre, une vieille mauvaise bête, une vieille bourrique, une vieille souche morte. Il y avait le père Racâyon qui avait dit qu’elle allait au “sabbat” à cheval sur un balai (elle était d’Allondrelle, le pays des sorcières). Il y avait aussi le vieux Sâssa, le sacristain qu’on appelait le “Bon Dieu” parce que toujours dans les églises. Celui-là, lorsqu’il ramenait un fagot du bois, lui disait pour rigoler :” C’est pour te brûler un de ces jours sur la place du village hé, sacrée vieille sorcière !”.
Il y avait la grosse Torine qui avait chassé ses oies. Mais les pires, c’étaient la Frasie et le Batisse qui restaient dans la maison voisine. La Zabette croyait qu’ils donnaient quelque chose à ses poules afin qu’elles aillent pondre chez eux. Ça c’était le comble.
La Zabette était toujours en rogne après eux. Elle se prenait à grogner sur eux tel un cochon. Elle disait :” Je voudrais qu’ils crèvent tous de faim, les salauds ! Quel mal pourrais-je bien leur faire ? Je n’oserais mettre le feu à leur maison parce que celle-ci brûlerait aussi et que je serais arrêtée par les gendarmes”.
Tout à coup, elle se dit : ” J’ai une bonne idée : je leur enverrai des rats. ils mangeront toutes leurs pommes de terre, leur lard, leur saindoux, leurs poussins, et le grain, et le seigle, et l’avoine. Ils ne leurs laisseront rien du tout, ils n’auront plus rien à manger, plus rien dans le ventre, plus rien sur le dos, ils deviendront pauvres comme des rats d’église et moi j’en tirerai beaucoup de plaisir ! Mais comment fait-on déjà ? Que doit-on dire ? Je ne sais plus trop maintenant… Je sais qu’il faut dire : “ratons, ratons…” puis écrire quelque chose sur des bouts de papier. Je vais vite chercher mes livres de magie noire : le Petit Albert, le Grand Albert et tous les Albert !”
La voila qui va consulter ses livres qui étaient sur une planche sous l’escalier du grenier. Ah, nom de nom ! les rats lui avaient mangé les dits bouquins. L’affaire était ratée, comme on dit. Elle en fut si fachée qu’elle en mourut de la rate la pauvre.
“Taisez-vous, hé Marie-Jeanne, avec vos histoires de ratons et de rate ! Vous me donneriez bien mal à la rate à moi aussi rien qu’à entendre vos sottises. Maintenant, vous pouvez bien me reverser une goutte de prune avec un café pour me remettre d’aplomb sur mes jambes. Je n’aime pas la magie noire moi, mais j’aime bien le café noir.

Version parue dans le publivire du 31/10/2019
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